mardi 19 novembre 2013

La pensée politique arabe de Mohamed Abed Jabri (suite 6)


La pensée politique arabe
de Mohamed Abed Jabri (suite 6)
Une lecture critique Nadhir Jahel. traduction de la langue arabe.
Revue Exégèse (IJTIHAD) N° 15/16 printemps-été 1992.

L’esprit de corps parental :
Il nous faudrait tout d’abord procéder à une nouvelle lecture  des transformations parentales, qu’a connu l’étape de la révélation à Mecque. Est-il vrai que ces transformations n’aient abouti, comme le perçoit Jabri, qu’à une nouvelle polarisation de l’esprit de  corps tribal, qui a plongé la révélation, depuis ses premières étapes, au champ de confrontation clanique, la portant à une réaction, à la politique d’esprit de corps, séparant ainsi sa tête idéologique (la dévotion)  de son corps tribal ? écoutons le :
« Le prophète est ainsi devenu maintenant protégé par ses proches( Béni Hachem et Béni Muttaleb), malgré qu’ils n’aient pas répondu à son prêche de la révélation. Cependant, un événement « banal » dont a été victime le prophète, alors, sera la cause de la proclamation de son oncle Hamza de sa reconversion  à l’Islam, dans le cadre d’un défi tribal, aux opposants au prêche de la révélation de Mahomet. Il occura qu'Abou Jahl Makhzoumi : ait croisé le prophète près de Safaa, le violenta et l’insulta(…) ce qui, rapporté à son oncle Hamza, provoqua sa colère ,  allant, en l'état, à la recherche d’Abi Jahl, qu'il  retrouva assit dans un groupe de Koreich; surmonté, il  lui lança : "qu'il suivait sa religion, et défierait quiconque, qui se sentirait prêt à l'affronter ? un homme de Béni Makhzoum se leva pour appuyer Abi Jahl », s’avisa, craignant que l’incident ne tourne  en guerre tribale, sans fin. Alors, il se confonda et interjeta, pour apaiser Abi Jahl : Aba Amara, je jure par dieu que j’ai insulté son neveu en des termes avilissants. Hamza quitta les lieux annonçant sa reconversion à l’Islam, incidemment, il le regretta, et resta hésitant, un certain temps au bout duquel, il se convertit à l’Islam, et alla en informer le prophète(…) de cela, Jabri ajoute, dans un autre passage :
« La rupture entre Béni Hachem et Koreich dura trois ans, mais n’était pas totale…Il se trouva des failles « tribales », certains de leurs parents continuaient à leur apporter la nourriture, conformément à la charte/pacte obligeant Koreich uniquement, alors que d’autres tribus, faisaient commerce avec Béni Hachem et Béni Mattaleh, malgré les pressions de Abi Jahl… ».
Nous découvrons, dans le récit de Jabri, de ces événements, dans ce qu'il rapporte de la vie du prophète, la façon dont il utilisa les concepts, là la « tribu » avoisine « la croyance » les deux concepts paraissent  se succéder, dans la lampe magique, alors que la « tribu » supplante «  la croyance » de sorte qu’il ne reste de cette dernière que l’ombre d’une chose imaginaire…N’était-il pas mieux que Jabri utilisa, par exemple, les techniques cinématographiques, en vue de voir comment se transmettent les photos qui se transforment, évolutivement, en d’autres images animées, qui se déroulent dans le temps ?!
Nous constatons, dans l’époque mecquoise, une dynamique parentale de rapides transformations , qui précède l’émigration ou conditionne son occurrence : en d’autres termes, la division clanique ne se déroule pas, selon une logique d’esprit de corps, mais s’insère dans un nouveau mouvement qui atteint l’ensemble de la formation, qui se construit sur cette logique. C’est un conflit entre deux logiques et deux champs. Ce qui signifie que l’appartenance des proches du prophète, à son projet, entraine l’engagement de ces proches dans un champ qui transforme son champ de vision conceptuel symbolique.
C’est ce qu’on retient, réellement, de la position de Hamza, lorsqu’il  affronta son protagoniste, il ne l’a affronté qu’avec une position argumentée qui l’a porté à un champ conceptuel-linguistique nouveau…Alors que la question de son hésitation, qui est citée dans le récit d’Ibn hachem, même si elle est véridique, ce qui est peu probable, elle ne démontre pas la prévalence de la logique tribale, mais la gestation de la naissance d’une nouvelle logique.
Cette logique apparaitra après l’émigration, à travers le même mouvement de transition, qui imbrique l’ancien dans le nouveau, et ce dans le cadre de deux expériences : le pacte de fraternité et la charte du prophète régissant les relations entre les musulmans de Koreich et les habitants de Yathreb. Et, il est nécessaire de s’arrêter devant ces deux événements, pour clarifier les transformations profondes, qui ont frappé la logique parentale après l’émigration. Le pacte de fraternité entre les émigrants et les alliés,  a non seulement  brisé la prédominance de l’esprit de corps, mais ses fondements et la base de sa logique : la parenté successorale, ce qui sépara, même si c’est momentanément, la communauté religieuse de l’esprit de corps d’une façon tranchante, l’on voudra ici passer en revue d’une façon critique quelques observations formulées par le docteur Radhouane Essaied à ce sujet :
« Ce qui est clair, c’est que cette tentative, malgré les différentes causes, que citent les analystes, visait  à réaliser l’intégration totale, sur la base de la religion, entre les musulmans. Le prophète aurait peut-être conçu, à n’importe quel instant,-poussé par sa hargne contre la tribu et l’esprit de corps, qui ont entravé l’empressement des gens à se convertir à l’Islam-, la possibilité de détruire les relations familiales, le clan des proches et la tribu, et l’édification d’une construction sociale/idéologique complètement rénovée. La comparaison hâtive entre le livre, précédemment cité,  et cette fraternité, confirme leur contradiction sur les plans de la signification et du contenu. Ce qui aurait été logique, serait que l’inverse arriva. C'est-à-dire  que la fraternité ait devancé historiquement le livre, mais lorsque son échec s’est avéré,  la révélation du coran l’annulant, le prophète s’est empressé de la remettre en place pour   remplacer le  livre. Ainsi, la question s’est reposée au cœur des textes coraniques, qui ont considéré les particularités de la troisième étape sociale, des traditions morales et sociales, dont on ne devait pas s’en écarter, mais de développer, dans leur contexte historique et social.
Il se peut que la fraternité ait devancé, historiquement, le livre, cependant, il n’a pas été démontré son échec et sa contradiction «  à la nature de la société » et quelle société vise-t-il, ici dans le sillage de cette dynamique qui concrétise la résurgence d’une logique de la collectivité, au lieu de la logique de l’esprit de corps ?) Mais elle advint, en tant qu’une rupture nécessaire et tranchée, de la logique de parenté de succession, qui prépare l’apparition de la nouvelle logique de parenté, qui revient à embrasser cette parenté de succession, mais adaptée et vaincue, dans le cadre des lois de l’héritage, par le rapprochement familial, de façon que la femme est devenue présente, en tant qu’héritière non seulement, par autrui, mais personnellement , également, à travers les ayants droits.
Et, il était naturel que ces transformations touchent le registre de parenté, le plus influant et le plus profond, dans la société primitive, le champ de parenté émotif qui se forme par la lutte et les équilibres provisoires, et , de ce point de  vue, il n’est pas possible que naisse la nation(omma) «  la nation qui réponde à la révélation » en tant que cadre qui serait supérieur aux esprits de corps, sans quitter le principe de cet esprit de corps, comme il plait à Jébri de le définir.
« le concept de nation(omma) » dépasse «  la tribu » et lui est supérieur, alors qu’il ne l’élimine pas, car la formation de la nation ne pose pas comme condition préalable la disparition « de la tribu » : ainsi, comme la « nation » se forme de musulmans, en tant que personnes solidaires, rien n’empêche qu’ils restent attachés à « la tribu » en tant que cadre social interne, ce qui advint effectivement.
« La nation » de la révélation mahométane dont « la charte du prophète «  constituait l’acte de sa naissance officiel, et en même temps son ordre interne, se formait dès le début de groupes tribaux : les émigrés de Koreich(une tribu) et les partisans(ançars) qui sont les tribus que « la charte » insiste à citer nommément, comme elle se préoccupa à citer les tribus juives, la deuxième partie du contrat…
Elle est éloquente cette référence de Jabri : Koreich « une tribu » !qui n’était pas présente à Médine en tant qu’esprit de corps, mais que Jabri n’affirme pas, à la lumière de la lampe magique….
En réalité, cette présence de nouveau de la tribu, n’est pas une présence en tant qu’esprit de corps, mais c’est une présence nouvelle de la parenté successorale, dans la composition de la parenté islamique. C’est une présence qui n’a eu de cesse de réagir à la logique monothéiste, avec les formations primitives, d’une façon positive, qui ne conduit pas à sa destruction, mais à trier ses éléments en transformant son édifice et ses significations-(et c’est ce qui nous laisse pondérer, en ce qui concerne les dynamiques de mutation, lors de la révélation, la deuxième explication, citée précédemment, qui affirme l’attraction des édifices primaires, en rapport avec ce que Ibn Khaldoun dénomme « la décadence », ou modèle linguistique coranique révélé, et qui ne peut se muer en transformations historiques spécifiques-c'est-à-dire que ce qui se détruit ici ce n’est pas la parenté successorale, mais la logique de l’esprit de corps, qui l’utilise pour enraciner la communauté, en la liant aux premiers pères, en glorifiant la coutume des morts(les premiers pères) sur les vivants, éliminant l’accumulation sociale temporelle, et non seulement les changements sociaux, être une mesure de l’approfondissement et de la concentration de ce qui est constant de règles, et non seulement de son changement.
Alors que l’affirmation que la présence juive, en tant que partie de la nation, démontre sa nature politique dominante, c'est-à-dire sur la forme idéologique « de la croyance » occulte, encore une fois, la dynamique monothéiste globale. Et ce, comme l’inclusion des juifs, et leur attraction à l’intérieur de la nation, démontre ce que comporte le monothéisme, dans sa formulation islamique complète de capacité à traiter « l’autre » et de le rencontrer à des niveaux différents, à condition que ça n’aboutisse pas à atteindre la logique générale de (l’islam), et sans atteinte à la logique de « l’autre » sauf pour ce qui est déstabilisateur. Nous  savons la forme de la critique, qu’on pourrait porter à cette théorie, tenant compte qu’elle prend,  comme point de départ de base, la considération de l’infériorité de l’autre, alors que cette considération reste dubitative, car ce déséquilibre est ici exactement, ce qui fait de la communauté une origine en soi, et une mesure de cette particularité, des autres. C’est un déséquilibre qui peut toucher la communauté musulmane même, car ce qui est important ici n’est pas la prévalence des communautés, mais son appartenance à une racine qu’il n’est pas donné  à une communauté de l’assimiler, la contenir et à laquelle elle va se comparer.
De là nous comprenons pourquoi la révélation de sourate « vous êtes sauf » (acquittés) baràa seulement après que les tribus juives se sont transformées en moyen de déstabilisation, à l’intérieur du champ du monothéisme nouveau.
Il est à signaler ici que cette ouverture sur « l’autre » a été interprétée, généralement, par les orientalistes, de mauvaise intention, car, au lieu de la comprendre en tant que changement réel de la logique des frontières « de l’esprit de corps, qui sépare entre l’intérieur et l’extérieur : « le moi » et « l’autre »(là ou « autrui » devient l’autre), elle a été considérée en tant qu’action politique « opportuniste » qui fait fi des valeurs, comme si un tel comportement était possible dans n’importe quelle action institutionnelle, qui se fonde sur les normes religieuses !.
En réalité, l’on ne peut comprendre ce changement, qui frappe la perception du groupe, de ses limites, et son mode de comportement, avec « l’autre », uniquement en le rapportant au changement du concept d’origine, sur lequel se forme cette communauté. Pourquoi l’origine devient-elle inclusive de la communauté, dans un cadre qui lui est transcendant, comme il a été précédemment souligné ? Car la fixation de l’origine dans un modèle linguistique miraculeux éloquent, qui ne se reproduit pas, dans le temps, et que la communauté ne peut concevoir, ou s’y comparer, sauf si elle s’aventure pour s’exposer à la consommation de l’énergie propre de parenté et économique [c’est ce qui adviendra réellement à l’esprit de corps-dans un Etat tyrannique historique comme on le verra ci-après] qui affrontera directement l’origine successorale-clanique, qui se trouve derrière la tradition des premiers pères, et qui trace à la communauté les frontières définitives, dans le champ de parenté qui attirera à travers « son adaptation », à l’origine et le rendra évident, pour les variétés naturelles(classées par l’ordre totémique ou se reflète la parenté sur la toile des variétés naturelles et s’éloignera de la classification de la signification linguistique qui démontre et éclaire).
Le butin et le cycle d’enrichissement