La pensée politique arabe
de Mohamed Abed Jabri (suite 7 et fin)
Une lecture critique Nadhir Jahel.
traduction de la langue arabe.
Revue Exégèse (IJTIHAD) N° 15/16
printemps-été 1992.
Le butin et le cycle d’enrichissement
De ce qui précède , il nous sera difficile de relever le
niveau économique, c'est-à-dire ce que Jabri appelle « le butin », qu’à
travers l’esprit unificateur qui préside à Médine. L’esprit de butin est
conditionné par deux déterminants :
La fixation de la communauté de sa relation avec l’extérieur,
et sa capacité à maitriser le champ du pouvoir à l’intérieur et la façon de le
conduire.
Nous avons vu que le concept de nation(omma) n’exclut pas l’appartenance
des non musulmans et leur statut de citoyenneté, pacifiquement, car le principe
c’est la communication avec le « différent », avec « l’autre »,
et, l’on remarquera, en conséquence, pourquoi cette confrontation avec cet « autre », reste régie par cette
racine d’origine inaugurale.
C’est ce qui est démontré, à travers même des jugements
rendus doctrinairement, appliqués, après l’époque du prophète. Abou Abid El
Kacem Ibn Sallem rapporte dans son livre « les finances »(الأموال) de Abbed Ibn Aouam, de
Hacin Ibn Abderrahmen, de Abdallah Ibn Chaddad que le prophète, dans une lettre
qu’il adressa à Hercule le souverain de Rome : je vous invite à te
convertir à l’Islam, si tu y adhères, tu seras considéré musulman et tu seras
tenu par les droits et devoirs qui leurs sont appliqués.
Si tu n’adhères pas à l’Islam, tu
seras astreint à payer la dîme. Dieu dispose dans le Coran : { combattez
ceux qui ne croiraient pas en dieu et à la résurrection, et ne s’astreignent
pas de ce qu’il a interdit, et ne suivent pas la religion de la vérité, parmi
ceux qui ont reçu le livre de la révélation, jusqu’à ce qu’ils paient la dîme d’une
main et demeurent humbles}. Sinon n’interpose pas entre les agriculteurs et l’Islam :
qu’ils y adhèrent ou paient la dîme. Ibn Sallem explique que le terme d’agriculteurs
n’est pas spécifiquement restreignant, mais qu’il concerne tous les habitants
de son royaume. C’est que les perses,
pour les arabes, sont tous des agriculteurs.
Cette explication nous ramène aux
édits doctrinaux qui varient pendant la période d’élargissement géographique du
cadre national. Si les agriculteurs sont, pour les arabes, les perses, l’islam
fait la part, après la défaite de Byzance, entre les perses et les agriculteurs, en détruisant l’Etat « perse »
et en annexant les agriculteurs, qu’il assimile dans son intérieur.
Cette relation entre l’intérieur(les
musulmans) et l’extérieur (les polythéistes ) est de prime abord une relation
de violence entre les musulmans et les gens de la guerre. Cependant cette
violence reste limitée, figée dans le cadre de formulations doctrinales, qui le
constate et ne le cache guère.
Celles-ci stipuleront sur les cas de
dépossession par la force et les situations qui justifient son occurrence, et
fixent la question du butin et son cadre juridique et les règles coutumières de
sa distribution. La violence ne se détache pas de la cadence d’unification générale avec ce qui la précède
originellement, avant son occurrence.
L’esprit unificateur nous clarifie
ici la résorption progressive de cette violence. C'est-à-dire, la façon de
passer de l’Etat de guerre à l’Etat de l’Islam. Cette mutation se passe dans la
continuité temporelle qui ne sépare pas entre le passé et le présent, n’est pas
édifiée sur des dogmes dualistes contradictoires qui ne se croisent pas. Cette
continuité nous laisse présager une notion qui intègre l’extérieur dans un
domaine doctrinaire unifié. C'est-à-dire qu’elle ne le rejette pas, et ne le
laisse pas dans un cadre sur lequel elle exercera continuellement sa violence.
La transformation progressive de la
violence en ordre et sa suppression en unifiant l’extérieur et l’intérieur est
une question très importante pour comprendre l’opposition entre la logique
islamique unificatrice et la logique du modèle grecque. Cette continuité, dans
le temps, démontre à travers deux séries et dénominations doctrinaires :
la première délimite les situations par étapes, à travers lesquelles se
transforment les non croyants en musulmans : les polythéistes-les gens de
guerre- des gens protégés par serments-les monothéistes chrétiens et juifs- les
musulmans.
A propos du paiement de la dîme
Maouardi indique : « …la dîme n’est redevable que (pour les gens
réconciliés), une seule fois par an…et celui qui se convertit à l’Islam reste
redevable de la dîme jusqu’à son acquittement, alors que Abou Hanifa voit sa suspension à sa
reconversion ou sa mort…Ceux qui sont sous serment, s’ils se rendent en terre d’Islam,
ils seront protégés pour leur personne et leurs biens, et peuvent résider
quatre mois sans payer la dîme, ils ne peuvent résider pendant une année qu’en
payant la dîme, et entre ces deux termes les avis différents, et ils ne peuvent
être attaqués, comme les monothéistes, mais l’on n’est pas astreint à les
défendre comme les monothéistes »
Le moteur du changement se trouve, qu’à
la place de la violence de la guerre, ils bénéficient des avantages légaux, à
travers des équilibres complexes : les gens bénéficiant de la protection
par serment ne paient pas la dîme comme les monothéistes, cependant ils
bénéficient d’un sauf conduite et non de la protection…Il se peut que les
accords de paix stipulent, pour les monothéistes des conditions qui les
avantagent sur les musulmans, mais qui ne s’appliquent pas aux gens bénéficiant de la
protection par serment, c'est-à-dire la
violence directe, ne s’arrête que pour une période, même s’ils ne sont pas
les initiateurs. Et c’est ce qui n’advient pas aux monothéistes. C'est-à-dire qu'au renoncement à l’usage direct de la violence, contre les monothéistes, les
plus proches de l’islam, se trouve, en parallèle la protection, d’une part, et la
pression pour qu'ils intégrent l’Islam.
Alors que la deuxième série, elle
clarifie le passage des musulmans de l’adoption de l’islam à la participation à
sa propagation, qui relance la première série de transformations et assure sa
continuité dans le temps : les nomades musulmans-les émigrants-les
combattants. Cette mutation apparait à travers les choix progressifs que présente
la parole noble du prophète, qu’il délimite à l’ennemi, avant la guerre et à
travers le prêche pour convaincre à rejoindre l’islam :
« Envahissez au nom de Dieu,
faites la guerre, pour la cause de Dieu, aux mécréants, ne commettez pas d’excès,
ne tuez pas un nouveau né. Si tu affrontes ton ennemi parmi les polythéistes, invitez
les à l’une des trois qualités ou qualifications, et n’importe laquelle ils
acceptent, tu retiendras et cesseras ton hostilité ; puis invite les à
rejoindre l’état d’émigrés, et ils devront, à ce titre, ce que doivent les émigrés. Et
porte à leur connaissance que s’ils y adhèrent, ils auront ce qu’ont les
émigrés et devront ce que doivent les émigrés. S’ils refusent de passer à l’état
d’émigré, ils seront considérés comme les nomades parmi les musulmans, ils seront
régis par la loi de Dieu qui s’applique aux musulmans, et n’auront aucun droit
sur le butin et les acquis en offrandes des colonies, sauf s’ils combattent,
avec les musulmans, s’ils refusent invite les , s’ils répondent accepte d’eux
et épargne les de tes hostilités, mais s’ils persistent à refuser, Dieu te
soutient pour les combattre ».
Ce qui est évident c’est que le
partage de la richesse, des biens saisis et du butin est en rapport à la
participation au combat qui constitue le ciment entre les deux séries, qui
relie entr’elles. Cette succession continue trace la logique de la construction
économique et démontre le transfert de la richesse de l’extérieur de la nation
vers son intérieur comme un transport qui s’harmonise avec la logique de l’adhésion
des gens à l’islam.
Ces deux séries s’entrecoupent selon
la succession, ci-après : état de guerre/état de serment/état de
conciliation/état d’islam. Ces états se suivent et s’imbriquent, la doctrine ne
s’accorde pas sur les limites entre ces différents états. Ce différend
indiquerait, peut-être, que les explications doctrinales sont en harmonie, chacune, avec l’étape du cycle de transformation. Et la doctrine, dans ce sens, ne prononce pas des appréciations figées de catégorisation, qui se basent sur une
logique binaire -d’opposition, qui coupe l’homme de son passé ;
esclaves/hommes libres ; intérieur/extérieur ; civilisation/ barbarie…ce
qui représente la logique marxiste qui advint après et que Jabri adopte ici.
Naturellement, ce modèle qui repose
sur la distribution de la richesse et du pouvoir à « l’intérieur »
sur la base d’une logique de transfert intégrante, n’exclut pas l’occurrence « de
ces manifestations de la faiblesse humaine(qui) apparait à l’occasion du butin
à Hounain, chose naturelle, complètement, dans une société qui n’a pas dépassé le
temps nécessaire à l’absorption des aspects négatifs de la guerre… »
Bien que ces manifestations ne
justifient guère l’analyse de Jabri, comme elle ne justifie pas son
interprétation de la confrontation entre l’ordre d’unification parachevé et l’ordre
polythéiste, à travers « la croyance » et « la tribu » et
la croyance ces marionnettes imaginaires qu’aucun (ne relie)lie et qui apparaissent
et s’éclipsent, comme dans un théâtre de marionnettes.
Oui, le modèle institutionnel de Médine s’est ouvert sur l’histoire, d’une façon précoce, après le décès
du prophète. Et il a semblé que le courant de l’esprit de corps est passé, à
cette période historique, et s’infiltra, dans sa cadence, dès les premières
secondes, bien que cela ne signifia, jamais, que l’étape du prêche de la
révélation et l’institution du modèle n’était qu’un passage de l’esprit de
corps à l’état historique. C'est-à-dire de sa personnalité à sa personnalité
évoluée ou amplifiée, plutôt l’apparition de l’esprit de corps de nouveau dans
l’histoire de l’islam, bénéficiant d’une particularité dans la logique l’unification
même, qui ne permet pas la destruction des anciennes formations
définitivement. Il s’ensuit que la logique sociologique, qui prévalait avant la révélation resta, résistant
au nouveau, essayant de reprendre sa dominance ; cependant, ce qui advint, ne permet pas d’affirmer que l’islam a porté à la formation de l’esprit de
corps un coup, qui a dévoilé son instabilité, et lui a fait perdre toute
souplesse qui lui permet de se pérenniser ou de persévérer ou de s’acclimater, pour préserver le fonds de son ordre interne, qui se trouve de conserver les
équilibres temporaires qui imbriquent les belligérances et la coexistence. Le composant
tribal s’est détaché et apparu sans tête, l’obligeant à emprunter la langue
islamique et de la défigurer, lui imprimant une expression qui lui donna une
identité acceptable. Et il a essayé, dans ce dessein, de transformer l’islam en
une croyance, détachée des niveaux de présence humaine, divisant les significations
coraniques, brisant la mesure des psaumes et
les sujets enchevêtrés, entreprenant d’enraciner cette logique
conformément à des fondements qu’elle ne comprend pas, a-t-il réussi à
comprendre l’islam ? a-t-il réussi à lui faire retrouver sa cohésion ?
La deuxième lecture d’Ibn Khaldoun
nous a ouvert la possibilité de répondre à ces questions complexes : car,
il apparait que la logique de l’esprit de corps est restée en crise, qu’il n’a
jamais dépassée. Pour quelle raison l’esprit de corps apparait-il « se
dégager » c'est-à-dire qu’il secoue l’équilibre de la notion puis se
transforme en force négative destructrice, pour s’effondrer par la suite ?
Une grande réserve d’énergie parentale(la cohésion, la passion, et le nombre)
ont été dépensés pour engager la société dans une périodicité cyclique, qui ne
le conduit qu’à sa décomposition et la décadence… Quel est le secret de la
prévalence « de la corruption de la formation » sur « la
formation » même ? L’état, basé sur l’esprit de corps, a fourni des
efforts extraordinaires en vue d’adapter la révélation, et d’assimiler l’origine
coranique, s’appuyant sur toutes les techniques de la linguistique, et tous ses
courants, sans succès. Il échoua à transformer la nation en source d’énergie,
qu’il consomma, lui permettant de se passer de s’auto consommer et d’épuiser
son énergie parentale, il demeura obligé à utiliser sa propre énergie pour
maitriser la nation, maitrise qui nécessite un effort perpétuel et « une
énergie d’esprit de corps » énorme, et il ne s’est pas transformé pendant l’époque ottomane en institution qui s’entoure de rideaux protecteurs :
l’administration, l’armée, les nouveaux fantassins et toutes les formations
militaires sauf en contre partie d’un prix exorbitant ; les règles de renforcement
de sa puissance, et l’extermination des enfants de ses sultans !...
Jabri affirme au sujet de la sagesse
de Mouaouia : « Ali Ibn Abi Taleb était au début le symbole, pour
ceux qui revendiquaient « la justice » mais les gens ne comprennent
pas toujours de la « justice » la même chose. La majorité de ses
adeptes comprenaient que la justice était « de se dépenser à donner » quant à lui, il voulut rester fidèle à la « justice » véridique, devant
laquelle s’éclipse toute autre considération, Ali a échoué, et il était
inévitable, qu’il échoua car « le consensus nécessaire » qui était
essentiel, alors, en tant que « facteur déterminant et qui tranche, c’était
de pondérer entre « le butin », « la tribu » et la « croyance.
Maouia « réussit sur cette question… »
Ainsi, banalement la justice de Ali
se transforme en chimère, dans la lampe magique de Jabri, et Mouaouia parait
comme la lampe magique même, qui rend les « cigognes » marionnettes,
dont Jabri nous occupe en jouant de leurs ombres, tout au long des pages de son
livre, pour qu’il nous dévoile son dessein, dans ses conclusions : nous
devons porter l’accoutrement de la démocratie occidentale :
caractéristique de l’ère moderne.
C’était là quelques lignes dans la
critique des principes de compréhension de Jabri de l’esprit de corps, et son
rôle dans l’histoire. Il reste à parachever la question par la compréhension du
déséquilibre, qu’il découvre, en étudiant
la question politique moderne. C’est là le fruit de l’occultation, du concept de
nation(omma). Ce qui nécessitera une autre étude.
http://ia601606.us.archive.org/0/items/94574/1516-1992.pdf
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